mercredi 13 mai 2020

Lettre ouverte au Président de la République

Créteil, le 16 avril 2020

Monsieur le Président de la République,

Si je m’adresse aujourd’hui à vous, au nom du groupe des élus communistes, républicains et citoyens de la ville de Créteil, c’est pour vous dire que nous sommes très en colère et expliciter les raisons de notre colère.
Depuis maintenant plusieurs semaines, une pandémie frappe la France,l’Europe et le monde. Due au SARS-CoV-2, désormais connue sous le nom de COVID19, elle a fait, depuis son apparition fin décembre en Chine, pas moins de 140 000 morts dans le monde, dont 90 000 en Europe, deux millions de personnes sont contaminées. A ce jour, dans notre pays, on nous annonce plus de 17 000 décès et plus de 6 000 personnes en réanimation.
Si personne ne pouvait anticiper cette épidémie, précisément, on pouvait néanmoins prévoir l’effondrement de notre système de santé devant une crise sanitaire quelle qu’elle soit.
Combien d’alertes depuis dix ans ? Des centaines, voire des milliers.
Partout, sur tout le territoire national, soignants, infirmiers, médecins, directeurs d’hôpitaux, internes, personnels des EHPAD, ont crié, ensemble, leur colère face aux politiques d’austérité imposées par les gouvernements successifs.
Vous le saviez, et la crise le dévoile au grand jour, nos hôpitaux publics n’étaient pas prêts à affronter une épidémie d’une telle ampleur. Comment auraient-ils pu l’être, prêts, alors que les politiques libérales de santé avaient entraîné la fermeture de 4 500 lits en deux ans et la suppression de centaines de postes ? Depuis votre arrivée au pouvoir en 2017, le budget des hôpitaux publics a été amputé d’1,5 milliard d’euros.
Vous étiez prévenu : rappelez-vous l’été 2019, un véritable cauchemar aux urgences des hôpitaux où le temps d’attente pour les patients se comptait en jours et non plus en heures ; rappelez-vous, cet automne, lors de l’épidémie annuelle de bronchiolite qui sévissait en Ile de France, les services de
réanimation pédiatrique étaient saturés et des bébés de moins de deux ans étaient transférés parfois à plus de 200 kms de leur domicile.
A Créteil, le 4 février à 21 heures, 115 fenêtres de l’hôpital Henri Mondor avaient été allumées sur cinq étages pour former trois lettres géantes sur la façade « SOS ». Un cri d’alarme visible à des kilomètres à la ronde pour dénoncer le manque de moyens. Fallait-il que le personnel soit déterminé,
inquiet, exaspéré, pour parvenir à organiser une telle action !
A l’hôpital Mondor, dans le passé, grâce à une mobilisation des personnels, des usagers, des élus, dans leur diversité politique, les services de chirurgie cardiaque et de chirurgie hépatique, menacés de fermeture, avaient pu être sauvés.
Mais vous-même et votre gouvernement êtes restés sourds aux alertes successives, comme à celles relayés par les députés et sénateurs communistes et apparentés. A l’issue de leur tour de France des hôpitaux, après avoir visité 150 établissements, ces élus ont déposé un projet de loi pour que soient prises des mesures d’urgence pour la santé et les hôpitaux. Rien n’a été fait, ou si peu.
Le désengagement progressif de l’Etat a entrainé une gestion calamiteuse de ce qu’il faut bien appeler une catastrophe sanitaire.
Notre incapacité à produire des masques met en exergue des années de casse industrielle, y compris à l’égard d’entreprise d’utilité publique, où le choix a été fait de délocaliser, d’externaliser et de sous-traiter. Même la politique des stocks, indispensable pour anticiper les crises, a été abandonnée.
Toujours au nom du même dogme : faire des économies !
Face à la gravité de la situation, c’est vers les élus de proximité,particulièrement municipaux et départementaux, que se tournent les Français.
Leur rôle est déterminant : engagés, les élus sont aux avant-postes pour faire respecter le confinement, organiser la solidarité auprès des plus fragiles, assurer la continuité des services publics et répondre aux attentes et aux interrogations de nos concitoyens.
A Créteil, les services suivants sont assurés : portage des repas aux personnes âgées, lien téléphonique avec les Cristoliens isolés, accueil des collégiens et des enfants de soignants et de personnels de sécurité, ouverture de lieux de soins dédiés aux patients Covid + etc…
Les communes rappellent avec force qu’elles demeurent le lieu de proximité le plus adéquat, essentiel à la vie quotidienne. Je tiens ici à saluer le formidable dévouement des agents communaux qui assurent la continuité de ces services publics. Le pays tient aussi grâce à eux !
Alors que l’Europe vient d’abolir la règle déjà infondée des 3 % de déficit, je vous demande de mettre fin à « la règle d’or des communes » pour permettre à celle-ci de se donner les moyens de répondre aux besoins des habitants.
Les élus locaux font face aux demandes des professionnels de santé, des personnels de sécurité, des enseignants, des aides à domicile, des employés communaux et territoriaux, des personnels des EHPAD, et de tous ceux qui, en contact avec du public, n’ont pas de matériels de protection nécessaires.
Cela fait maintenant plusieurs semaines que cette demande de matériel est exprimée. Elle devient chaque jour plus pressante. Des entreprises, des associations ont pris l’initiative d’en produire elles-mêmes pour répondre à ces besoins et nous les en remercions vivement. Mais, à ce jour, les masques
restent contingentés et les tests demeurent réalisés de façon très insuffisante au regard des préconisations de l’Organisation Mondiale de la Santé.
Aussi, M. le Président, il faut tout mettre en oeuvre pour fournir, en urgence, les moyens humains et matériels manquants : tests, masques, gel et médicaments.
Comment imaginer que le déconfinement annoncé pour le 11 mai puisse se dérouler dans des conditions sanitaires acceptables ?
L’annonce, selon laquelle, seules, les personnes présentant des symptômes du Covid-19 seraient testées, a fait réagir le milieu médical, dès le 13 avril au soir.
Les médecins réclament un dépistage massif pour casser les chaînes de contamination. Si cela n’est pas mis en place, on peut s’exposer à une seconde vague d’épidémie.
Les activités non essentielles devraient être totalement arrêtées. Il n'est pas possible d'affirmer que l'on veut protéger les populations et laisser, en même temps, le patronat faire repartir la production dans des secteurs qui ne sont pas immédiatement vitaux pour le pays.
Relancer l’activité économique ne doit pas se faire au prix de sacrifices de milliers de vies. Sans masques en nombre suffisants, sans tests efficaces, sans traitement éprouvé, comment envisager la réouverture, même progressive, des écoles, collèges, lycées au 11 mai prochain ? Alors que, dans le
même temps, les fermetures de tous les lieux publics sont maintenues ? Ce sont des décisions incohérentes et dangereuses.
Le 13 avril, vous n’avez pas dit un mot de la situation dans les EHPAD, alors qu’une tribune parue dans le journal « Le Monde », signée par des professionnels et de nombreux élus, dénonce le manque en moyens humains et matériels dans ces établissements. L’Etat ne peut pas les accompagner et
pendant ce temps, la mortalité continue. Encore un scandale sanitaire. Cette épidémie et sa gestion sont un miroir extrêmement puissant des faiblesses de notre société, basée sur des logiques de concurrence et de profits. Nous assistons à un effondrement du logiciel libéral. La crise actuelle
touche la finance, l'économie, les écosystèmes, le politique, le géopolitique,l'alimentation, l’éducation, le logement. Aucun secteur n’est et ne sera épargné.
Personne n’en mesure aujourd’hui les conséquences.
Aussi, notre responsabilité est de préparer « le jour d’après ». En vérité, il a déjà commencé. Ne soyons pas dupes, les choix qui vont structurer le monde de demain, vont se jouer dans les prochaines semaines.
Les contradictions entre vos discours et les actes sont flagrantes.
Le discours : « Il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché », ces mots sont les vôtres, le 12 mars dernier. Vous avez récidivé le 31 mars en affirmant « qu’il faut produire plus sur le sol national pour réduire notre dépendance et nous équiper dans la durée » ; vous
avez même osé le terme de « maîtrise de protection industrielle ». Mais, vous refusez de sauver la dernière usine d’Europe située près de Clermont Ferrand, laquelle fabrique des bouteilles d’oxygène, vous acceptez ainsi que la France soit dépendante des marchés étrangers.
Le discours : « La santé gratuite est un bien précieux ; il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Un plan d’investissement massif devra être conduit pour l’hôpital public. » Mais, qu’apprend-on avec stupéfaction par Médiapart : qu’une note d’experts de la
Caisse des Dépôts commanditée par l’Elysée prévoit au contraire d’aggraver la marchandisation de la santé et de l’hôpital.
Face à la gravité de la crise qui nous frappe, les réponses doivent être à la hauteur des enjeux. Il s’agit de changer de logique et de changer le monde !
Priorité doit être donnée aux Services Publics, nationaux comme communaux. Qu’ils soient érigés en bien commun de la nation !
Plaçons l’écologie, la juste répartition des richesses, l’intérêt général et la justice sociale au coeur des politiques publiques de ce pays.
Nous avons besoin d’un grand plan d’investissement pour la recherche médicale, pour un pôle public du médicament, et pour l’hôpital public. Cela nécessite des milliers d’embauches, la revalorisation des salaires, des ouvertures d’hôpitaux de proximité publics dotés d'urgences, de maternité et
de plateau technique, et une toute autre gouvernance !
Monsieur le Président, alors que des millions de salariés sont en situation de chômage partiel, que des milliers risquent de perdre leur emploi, que de nombreuses TPE et PME risquent de disparaitre, je vous demande de prendre des mesures immédiates pour interdire aux entreprises du CAC-40 de
verser des dividendes à leurs actionnaires et d’utiliser cet argent pour alimenter un grand fond de solidarité nationale à destination des communes, des associations et de tous les acteurs qui se retrouvent aujourd’hui en première ligne dans la lutte contre le COVID19.
Bien évidemment, rétablir l’Impôt Sur la Fortune et supprimer la flat-tax (impôt à taux unique pour les revenus du capital) sont deux mesures qui s’imposent dans le contexte économique.
Aujourd’hui, les professionnels soignants, soutenus, applaudis par tout le pays se donnent corps et âme, admirables pour sauver des vies.
Mais nous, comme eux, nous avons la rage au coeur.
Vous avez repris l’expression « les jours heureux » dans votre discours du 13 avril. C’est une référence historique au programme du Conseil National de la Résistance. Nous vous prenons au mot : nous veillerons à ce que vous mettiez réellement en oeuvre un programme progressiste pour notre société.
Respectueusement

Martine GARRIGOU-GAUCHERAND
Conseillère municipale de Créteil déléguée à la Santé
Vice-Présidente en charge de la Politique de la ville.

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